La bataille de la Somme

En octobre 1917, quatre conseillers généraux de Vaucluse partent en mission patriotique dans la Somme.

Une "mission patriotique"

À la demande du parlement français, le ministre de l'Intérieur invita les départements à déléguer quelques conseillers généraux pour aller visiter les pays reconquis après l'offensive de la Somme (juin 1916-février 1917) et constater de visu la dévastation commise par l'ennemi. L'objectif non dissimulé de cette "mission patriotique" est de donner la plus grande publicité possible aux actes de sauvagerie commis par les éternels ennemis de la France.

Dans sa séance du 5 septembre 1917 (AD Vaucluse 1 N 188), le Conseil général de Vaucluse désigne les conseillers généraux composant la délégation qui visitera les régions de France où se sont déroulées les opérations de guerre, afin de rendre compte des dévastations. Les membres de cette commission, MM. Charlet, M. Clop, M. Laly-Nevière et le Dr Loque partent le 12 octobre 1917.

Le rapport du Docteur Loque

Lors de la session d'avril 1918 (AD Vaucluse 1 N 189), le Dr Loque livre au département le rapport de la délégation du Conseil général et rend compte, en 32 pages, de son voyage en terre dévastée, dans la Somme et le Pas-de-Calais, entre Amiens, Bapaume et Ham.

Ah ! cette plaine ! Jamais la vision ne pourra s'effacer de notre mémoire.

L’expédition débute à Amiens sous "une pluie fine et froide", qui allait les accompagner pendant tout leur périple...

"Partout c'est la destruction !"

Sur la route d'Albert à Bapaume, la délégation s'arrête à La Boisselle dont "il ne reste plus rien" sinon le cratère de l'explosion de juillet 1916, une "excavation d'environ 50 à 60 mètres de diamètre sur 18 à 20 mètres de profondeur".

Dans la plaine entre Bapaume et Péronne, pas un mètre de terrain qui n'ait été bouleversé par les obus. Tous les arbres sont déchiquetés, les troncs fracassés. Sur cette terre bouleversée apparurent des croix, encore des croix, toujours des croix ! (...) Cette trop longue et vaste plaine transformée en un vaste cimetière évoquant de manière lancinante cette épouvantable hécatombe de vies humaines.

 

La délégation du Conseil général de Vaucluse poursuit sa route vers Bapaume (Pas-de-Calais), qui est un monceau de décombres. Le rapport du Dr Loque décrit, à l'entrée de la ville, la sucrerie, détruite ; les maisons, détruites ; la mairie, détruite ; la place de la mairie, également détruite.

Puis viennent Beaulencourt et Le Transloy dans le Pas-de-Calais, Sailly-Saillisel et Bouchavesnes dans la Somme. De Bouchavesnes, il ne reste qu'une partie du clocher. À la fin de la guerre, ce village totalement anéanti a été désigné par le maréchal Foch au philanthrope et armateur norvégien Haakon Wallem comme commune à adopter. Les donations arrivent de Norvège pour venir en aide à cette commune. En signe de gratitude, la commune devient en 1920 Bouchavesnes-Bergen, du nom du port de la mer du Nord d’où est originaire Haakon Wallem.

À Péronne, pendant les trois derniers jours de l'occupation, l'ennemi fit incendier et exploser méthodiquement tout ce qu'il n'avait pas pu emporter. Il avait, au préalable, (...) razzié toute la population civile de 15 à 60 ans, laissant les autres sans vivres suffisants. L'église gothique a été détruite par "les vandales", qui placèrent des explosifs sous chaque pilier de granit (...) sans autre but que d'établir la destruction là où ils ne pouvaient plus demeurer.

Le périple se poursuit dans la Somme, à Biaches, et à Barleux, où sont tombés deux soldats vauclusiens, le sous-lieutenant Soulier d'Avignon, et le brave Mathieu, un enfant de Bollène.

Viennent ensuite Athies dans le Pas-de-Calais, Pargny et Ham dans la Somme, Chauny dans l'Aisne, où on est surpris de rencontrer tout un quartier non détruit. Là, on ne s'est pas battu. Comme à Bapaume, comme à Péronne, on a détruit pour détruire. La population valide a été razziée et les maisons ont été pillées et brûlées.

La délégation souligne que deux-cent-trente-huit communes de la Somme, dont Pozières, avaient été totalement détruites à la fin du mois de mars 1917, et compare cet anéantissement aux grandes invasions barbares de 407…

Non seulement les populations, les villes et les maisons, les usines ont été détruites, mais jusqu'aux vergers d'arbres fruitiers réduits à l'état de lamentable désert, par exemple ceux situés entre Faucourt et Bois-l'Abbé : les arbres ont été sciés à 50 cm du sol et abattus. Beaucoup tiennent encore par une partie de fibres et d'écorce. Dans le secteur de Bois-l'Abbé [commune de Cachy dans la Somme], on a compté 130.000 pieds d'arbres fruitiers abattus.

Partout, c'est la même chose, partout, c'est la destruction systématique, organisée, farouche, sauvage. Mais à côté de ces ruines matérielles amoncelées dans toute cette région, il faut aussi entrevoir les ruines morales non moins tristes, non moins pénibles, non moins révoltantes. Et le Dr Loque d'évoquer avec pudeur le viol des femmes et des jeunes filles, la destruction des familles.

"Nous sommes les soldats de l'arrière"

On peut aisément imaginer que l'objectif politique de ces voyages est de maintenir la mobilisation des "soldats de l'arrière" afin que les régions françaises qui n'étaient pas directement touchées par les combats gardent à l'esprit la "conscience de [leur] devoir" et continuent de "donner pour la patrie tout [leur]travail, tout [leur] courage, toute [leur] volonté" pour "chasser les Vandales"...

EN SAVOIR PLUS
Guide des sources sur la Première Guerre mondiale en Vaucluse