La petite machine à remonter le temps
Dans les coulisses d'un théâtre
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Le 15 juin 1882, le conseil municipal de la ville d’Orange se réunit en séance extraordinaire autour du maire Alfred Dugat dans le cadre du projet d’érection d’un théâtre à l’extrémité sud du cours Saint-Martin et le long de la route départementale n°13 reliant Orange à Roquemaure.
Le devis pour la construction est établi par un ancien élève de Charles Garnier l’architecte avignonnais André Jean Baudoy. Le coût du bâtiment est estimé à 65 000 frs auxquels la municipalité adjoint 10 000 frs supplémentaires pour dépenses imprévues. Comme l’impose la procédure administrative, une enquête d’utilité publique est organisée afin de recueillir l’avis des Orangeois.
Le journal local La Ruche publie l’avis le 25 juin 1822. La consultation menée par le conducteur des ponts et chaussées Eugène Morenas prend fin le 2 juillet. 83 administrés se positionnent contre le projet avec des arguments divers. Pour certains, le « monument est mesquin », et « de proportions fort réduites » ; pour d’autres, il empiète sur l’espace alloué aux bestiaux les jours de marché ou il est trop éloigné d’un point d’eau en cas d’incendie ou bien il ne respecte pas les prescriptions urbanistiques du mouvement hygiéniste qui préconise d’aérer les villes. Un motif inattendu revient régulièrement dans les oppositions, il est formulé de façon émouvante dans le courrier de Raoul de Biliotty et plus explicite dans celui d’un collectif de signataires.
Le site pressenti pour l’édification du théâtre est aussi le lieu sur lequel on dressa la guillotine durant la période de la Terreur. La commission populaire créée par le Comité de Salut Public le 21 floréal an II (10 mai 1794) siégea à Orange. Ce tribunal dirigé par le représentant de la Convention nationale Maignet, prononça contre les ennemis de la Révolution 332 condamnations à mort. Parmi les guillotinés, on compte 32 religieuses et l’aïeul de Raoul de Biliotty, Joseph Joachim de Biliotti qui fut l’un des derniers à périr le 29 juillet 1794. Un monument expiatoire est édifié en 1825 sur le lieu où se tenait l’échafaud. L’œuvre contre-révolutionnaire n’ayant jamais été totalement achevée, elle est finalement démolie en 1848.
A l’issue du dépouillement des oppositions au projet, le commissaire enquêteur Morenas émet le 2 juillet un avis favorable, arguant de la gratuité du terrain, des dimensions harmonieuses et adaptées du théâtre, de l’absolue nécessité pour Orange de se doter d’un tel établissement et de la proximité de la rivière Meyne pour le risque incendie.
Le conseil municipal suit l’avis du commissaire enquêteur dans sa séance du 10 juillet. Il ajoute au sujet du choix controversé de l’emplacement « qu’il est sage et patriotique de ne pas perpétuer le souvenir de nos discordes civiles ». Le projet est finalement approuvé par le ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts dans sa séance du 26 décembre 1882. Le devis estimatif de la dépense et le bordereau de prix sont approuvés par le préfet le 15 juin 1883. L’inauguration du bâtiment a lieu en décembre 1885.
En jouant avec le curseur, on peut apercevoir sur le plan bleu, presque caché, un petit bonhomme. Sert-il à donner un ordre de grandeur pour la façade de l'édifice ?
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