Clin d'œil
Mérimée contre le tracé PLM
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La conscience d’un patrimoine appartenant à tous naît à partir de la Révolution. Après la confiscation des possessions du royaume et du clergé, il apparaît comme essentiel de préserver ces biens en tant que témoins du passé. Pourtant, on aura à déplorer un nombre considérable de dégradations et de disparitions d’édifices. L’abbé Grégoire, député puis à la Convention utilise le terme « vandalisme » pour qualifier le pillage des symboles de la noblesse et de l’Église. Dans ce contexte, des hommes soucieux d’enrayer ces destructions, s’emploient à protéger le patrimoine. Cet engagement fera émerger un peu plus tard dans le XIXe siècle la notion de « monuments historiques ».
Le premier poste d'inspecteur des Monuments historiques est créé le 21 octobre 1830 par le ministre de l'Intérieur Guizot. Pour assurer la pérennité d’un ouvrage dans le temps, le fonctionnaire dispose de crédits d’entretien et de restauration. L’un de ses plus illustres représentants, Prosper Mérimée, est nommé en 1834 inspecteur général. Écrivain, historien et archéologue, il entreprend à partir de 1842, une opération de sélection de bâtiments dignes de figurer dans la liste officielle des monuments historiques, un classement qui garantit encore aujourd’hui leur protection.
Dans l’affaire qui nous occupe et qui préoccupe Mérimée, il est question au milieu du XIXe siècle d’abattre non seulement la partie nord des remparts afin de faire passer une voie ferrée, mais également, de sectionner le pont Saint-Bénezet. Dans une lettre adressée à Ludovic Vitet, le 6 septembre 1845, Mérimée écrit ceci : […] « Les Avignonnais se disposent à imiter les Carpentoraciens. On a fait un plan de chemin de fer qui détruirait tous les remparts qui longent le Rhône. Ce plan est fort goûté du préfet, M. Pascal, que j’ai fort scandalisé par mon indignation. Vous savez qu’Avignon forme à peu près un ovale dont la moitié est bordée par le Rhône. De ce côté passe la grande route de Marseille. On veut encore y faire passer le chemin de fer, en sorte qu’il y aurait dans un espace très resserré, bateaux à vapeur, wagons et diligences. Pour le chemin de fer, il n’y a de place que sur l’emplacement des remparts. Le pont S. Bénézet serait coupé bien entendu dans cette hypothèse. Les gens d’esprit demandent que le chemin passe le long des remparts de l’autre côté. […] Mais le Préfet et le maire veulent. Le pauvre Requien qui était notre avocat au conseil municipal est très gravement malade ; en ce moment nos intérêts archéologiques sont abandonnés à de très mauvais avocats et toute la force est de l’autre côté » […]. Le rapport de 1846 que Mérimée adresse à son ministre de tutelle ainsi que le plan des ponts et chaussées de 1851 attestent de ce funeste projet.
L’inspecteur général croise le fer avec la mairie mais il a contre lui une partie de la population avignonnaise qui estime que le remblai de la voie ferrée ferait une barrière efficace contre les crues du Rhône. En 1854, un nouveau tracé du Paris-Lyon-Marseille contournant les fortifications est proposé et la nouvelle municipalité abandonne le projet initial. Un dossier qui démontre in fine qu’il est possible de concilier développement économique et sauvegarde de « vieilles pierres ».
Les remparts, classés Monuments historiques en 1861, sont sauvés. En dépit de ce classement, le maire Gaston Pourquery de Boisserin élu en 1888, ordonne en 1896 la démolition de la porte Limbert et en 1900 celle de la porte de l'Oulle. Une nouvelle inscription en 1901 sera nécessaire pour stopper toute velléité de destruction.