La Terreur, le curé et le registre des délibérations de Saint-Marcellin-les-Vaison

... ou l’histoire méconnue du jeune Jean Jacques Louis Gleize pris dans la tourmente révolutionnaire.

À l'origine, il y a la publication de l'inventaire des archives de la commune

Après le dépôt et le classement des archives de la commune de Saint-Marcellin-lès-Vaison, l’instrument de recherche numérique est mis en ligne en 2019 sur le site des Archives départementales.
Depuis, un lecteur vigilant Régis Villelongue, nous a signalé la présence d’un registre de délibérations de cette communauté pour la période 1790-1793 conservé aux Archives nationales. C’est ce registre repéré de manière fortuite, dont les pages numérisées viennent d’être mises en ligne, qui fait aujourd’hui l’objet d’une actualité.

Le fonds d’archives de Saint-Marcellin-lès-Vaison est assez peu volumineux et ne comporte que trois pièces d’Ancien Régime. La collection des délibérations de la communauté ne commençait qu’au 8 germinal an IX (29 mars 1800, cote 1D1), ce qui curieusement laissait supposer qu’il y avait eu très certainement des pertes d’archives. Le registre en question couvre la période révolutionnaire, du 13 novembre 1790 au 18 février 1793. À cette époque, le village est incorporé au département de la Drôme et au district de Nyons (il fut rattaché le 26 juillet 1793 à celui de Carpentras lors de la création du département de Vaucluse).

Mais pour quelle raison ce registre de délibérations de la communauté des habitants est conservé aux Archives nationales ?

La raison est plus que surprenante : il fait partie d’un dossier d’accusation présenté au tribunal révolutionnaire de Paris dans l’affaire jugée le 11 juillet 1794 contre quatre habitants de la commune de Saint-Marcellin-lès-Vaison : d’une part Jean Jacques Louis Gleize (curé âgé de 30 ans, natif du Buis dans la Drôme), d’autre part Cosme Peyre (maire), Joseph Marie Guintrand (agent national) et Joseph Villelongue (chirurgien, secrétaire et greffier), accusés d’avoir produit des faux dans le but de protéger le prêtre.

Ce registre constitue une des pièces à conviction présentées devant le tribunal révolutionnaire. Le décret de la Convention du 26 août 1792, ordonne que les prêtres qui n’ont pas prêté serment et qui sont réfractaires soient condamnés à la déportation. Or, Jean Jacques Louis Gleize n’a pas prêté serment à la Constitution civile du clergé. Alors, pour  échapper à la déportation, il doit simuler son attachement aux valeurs républicaines avec la complicité des autorités locales de Saint-Marcellin, Peyre, Guintrand et Villelongue.

Que recèle ce registre de délibérations ?

Du 13 novembre 1790 au 28 septembre 1793, le registre compte quarante-sept délibérations ou assemblées des habitants et se termine par une lettre du curé Jean Jacques Louis Gleize adressée aux citoyens maire et officiers municipaux. Parmi ces assemblées, quatorze traitent des affaires de la paroisse ou du cas Gleize. À la lecture du registre, la présence et l’ascendant de  Jean Jacques Louis Gleize sur les administrateurs de la municipalité est nettement perceptible :
- nomination de Gleize comme curé de Saint-Marcellin-lès-Vaison (assemblées des 8 et 21 décembre 1790)
- nécessité de se procurer des ornements et vases sacrés pour le service divin (assemblées des 12 mars 1791, 21 et 27 octobre 1792)
- nécessité de fixer un lieu pour le cimetière et la maison curiale (assemblées des 1er juillet et 30 août 1792).

La décision de l'accusateur public Barjavel

Dans ce contexte, en février 1794 l’accusateur public Barjavel soulève comme relevant d’un délit la falsification du registre par l’insertion d’un certain nombre de feuillets non timbrés et la modification de plusieurs dates afin de donner l’illusion d’un ordre chronologique des assemblées.
Le procès-verbal dressé par le tribunal criminel du département de Vaucluse le 8 ventôse an II (27 février 1794), conservé dans le dossier de procédure du district de Carpentras (4 L 194), relève toutes les pages suspectées d’avoir été faussées. Elles concernent :
-    les prestations de serment de Gleize, a posteriori et en plusieurs fois, pour se conformer aux décrets donnant l’obligation aux ecclésiastiques de prêter serment de fidélité à la Constitution civile du clergé (assemblées des 7 février et 21 août 1791 ; 6 mars, 30 août et 11 novembre 1792)
-    une demande de réparation formulée par le curé après avoir été contesté par des habitants notamment sur son honneur et sa probité (modification de plusieurs dates à partir du 30 août 1792)
-    l’ajout d’une lettre adressée par le curé aux citoyens maire et aux officiers municipaux : « J’exerçais depuis longtemps le métier de prêtre dans votre commune, mais aujourd’hui je renonce à ce métier, tout au moins inutile, mon entrée dans le sacerdoce fut le crime de la tyrannie. Je demande que vous receviez la déclaration que je fais dès à présent de ne reconnaitre d’autre religion si ce n’est celle de la vertu et de l’amour de la liberté et de l’égalité… Le culte de la raison a succédé à tout acte religieux, et si j’ai un regret, c’est de n’avoir pas dès le commencement de la Révolution, donné le premier l’exemple de l’abdication de notre culte  » (28 septembre 1793).
Par ailleurs, le jugement du tribunal criminel du département de Vaucluse du 27 pluviôse an II (15 février 1794) conservé dans le dossier de procédure (7 L 49) relève des faits aggravants et explique le transfert du dossier au tribunal révolutionnaire à Paris. Lors de son arrestation à Sérignan en septembre 1793, Gleize était porteur d’un certain nombre de papiers falsifiés ou produits afin de faciliter son évasion vers l’étranger, notamment cinq lettres écrites par Villelongue toutes datées du 28 mars 1793, adressées à cinq particuliers habitant à Genève et «  portant recommandation de placer Gleize comme négociant dans un comptoir  ».

Une sentence sans appel

Jean-Jacques Gleize et Joseph Villelongue sont condamnés à la peine de mort par le Tribunal révolutionnaire le 11 juillet 1794 et exécutés le jour même, tandis que le maire Cosme Peyre et l’agent national Joseph-Marie Guintrand sont acquittés. Selon Régis Villelongue, leurs corps seraient enterrés dans une des fosses communes du jardin de l’ancien couvent des Chanoinesses de Picpus . 

 

Merci à Régis Villelongue, lecteur attentif, qui nous a permis de retrouver la trace du registre de délibérations et qui nous a confié ses recherches sur son ancêtre Joseph Villelongue.