Clin d'œil

Paul Vayson

Ou comment illustrer à la fois la sérendipité de la recherche dans les fonds d’archives et la protection du patrimoine pictural

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Tout commence par la consultation de l’inventaire de la série U (archives judiciaires avant 1940). Déclenchée par la demande d’un tiers intéressé par un rapport d’expert dans les archives du tribunal civil d’Avignon, une des analyses - sans rapport avec l’objet de la recherche - indique le document suivant : "Avignon : expertise d’un tableau intitulé Un abreuvoir dans la Crau de Théo Mayan (25 nov. 1907)". Qui est ce peintre ? Ce tableau est-il un faux ? Une vérification s’avèrera utile.


Les semaines passent et comme à l’accoutumée, le besoin de matière première pour la fabrication d’un clin d’œil se profile. Dans le stock d’actu en attente, "l’affaire Théo Mayan" mérite un coup d’œil. Avant de consulter les archives, cherchons l’œuvre sur la toile. Internet se révèle peu prolixe sur le dit-tableau, il pourrait s’agir de celui en vignette ci-contre, présenté au musée Regards de Provence à Marseille en 2019 et 2020 dans une exposition consacrée à Jean Giono mais son nom diffère, il est intitulé "Paysanne sortant l'eau du puits". Tâchons d’en savoir davantage dans les archives des tribunaux.

Le document tient sur 4 feuillets. Il s‘agit d’un rapport daté du 18 novembre 1907, signé de la main de Paul Vayson, également artiste peintre. Il a été mandaté par le tribunal civil d’Avignon afin d’expertiser un tableau aux dimensions généreuses de 3 m sur 2 de Théo Mayan intitulé Un abreuvoir dans la Crau. Présenté au palais des Papes dans la section Beaux-Arts de l’exposition d’Avignon, des détériorations sur l’œuvre ont été constatées. Accompagné de deux avoués et de l’artiste, Paul Vayson est chargé du constat d’état du tableau sur le lieu même d’exposition, de déterminer l’origine des dégradations et d’évaluer le montant des réparations.

Peu de détails échappent à l’examen attentif de Paul Vayson, dont on peut supposer que la compétence est confortée par sa pratique de l’art. Dans les craquelures de peinture incriminées, il voit non pas un acte de vandalisme ou de mauvaises manipulations mais l’utilisation pour l’entoilage du châssis d’une colle trop forte et granuleuse parce qu’insuffisamment remuée. Avec le temps et les variations de température, la toile perd son élasticité et la peinture se fendille. À l’intention de Théophile Mayan, il écrit ceci : "La toile examinée a été préparée par l’artiste qui, soit dit sans l’offenser, a fait preuve de moins de talent dans cette manipulation qu’il n’en a déployé dans la partie artistique".

Pour réparer les zones abîmées, Paul Vayson propose d’effacer les traces de dégradations, d’enlever une partie de la colle et de rentoiler les parties atteintes. Le coût total des opérations s’élèverait à 230 Frs maximum. Ces conclusions – rédigées à titre gracieux comme il le précise - ne semblent pas être en accord avec la position d’un des avoués, Monsieur Ruat qui, s’exprimant pour le compte de la ville d’Avignon, renouvelle ses réserves quant à la recevabilité d’une telle restauration "en se basant sur l’article 13 du règlement accepté par M. Mayan".


C’est ainsi que de l’œuvre de Théo Mayan à peine effleurée, une évocation de l’homme et de l’artiste vauclusien Paul Vayson a émergé. 

Natif de Gordes, fils d’un juge de paix, Paul Vayson suit une formation aux Beaux-Arts de Paris puis auprès de Jules Laurens. Peintre de la ruralité provençale et graveur, il expose dès 1865. Il partage  son existence entre Paris et le Vaucluse où il exerce notamment la fonction de directeur de l’école des Beaux-Arts d’Avignon. Il est propriétaire du château de Murs ainsi que celui de Javon à Lioux. Il exerce le mandat de maire de Murs de 1896 jusqu'à son décès en 1911.


L’année de la rédaction du rapport d’expertise, son tableau Les fenaisons en Provence (nommé aussi Les faucheurs) est primé au Salon de Paris de 1907. Ce même tableau fut offert au Conseil général de Vaucluse et il trône encore aujourd’hui dans la salle des délibérations.

Autour du tableau de Paul Vayson et de l’hémicycle dans l’hôtel particulier qui abrite le Conseil départemental de Vaucluse :

  • Plaquette réalisée à l’occasion des Journées européennes du patrimoine en 2019