Clin d'œil

Souriez, vous êtes fichés

Le carnet B ou la surveillance des anarchistes, antimilitaristes, socialistes, communistes, syndicalistes … sous la 3e République.

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Le général Boulanger, ministre de la Guerre en 1886 et 1887, surnommé le général Revanche parce que partisan d’une nouvelle guerre contre l’Allemagne après la défaite de la France en 1870, s’engage dans la lutte contre les traîtres à la Nation. Après le vote de la loi du 18 avril 1886 tendant à établir de pénalités contre l’espionnage, une instruction ministérielle "très confidentielle"  vient compléter ces dispositions en instaurant la mise en place des carnets A et B. Le premier a pour objectif de recenser dans chaque département les noms des étrangers résidant en France en âge de servir les armées. Le second dresse la liste des étrangers et des Français soupçonnés d’espionnage.


L’usage du carnet B est assez rapidement étendu à tous les individus susceptibles de troubler l’ordre public et aux antimilitaristes réfractaires à la mobilisation générale. Il n’est pourtant pas utilisé durant la Grande guerre mais il reprend du service en 1922. Sa tenue va faire l’objet d’une révision qui institue désormais trois groupes d’individus à surveiller : les étrangers suspects d’espionnage, les Français suspects d’espionnage  et les Français représentant un danger pour l’ordre intérieur. Dans ce dernier cas, on discerne les bases du fichier S actuel.


En 1933, la surveillance des étrangers fait alors l’objet d’un carnet spécial. Celui-ci fusionne avec le carnet B en 1938, pour être finalement abrogé en 1947.


C’est la gendarmerie, sous l’autorité du préfet, qui est chargée de la surveillance de la population. Lorsqu’un suspect se déplace, le préfet du département d’origine avertit celui qui va l’accueillir, et ce changement de résidence nécessite une actualisation de chaque carnet. Pour illustrer la surveillance des individus soupçonnés d’être révolutionnaires et antimilitaristes, un petit dossier est extrait de la boîte cotée 4 M 234.


Dans le rapport du maréchal chef des logis Rouvier du 29 septembre 1911, il est question d'un dénommé Eugène Félix Courant, 47 ans, célibataire, travaillant comme manœuvre auprès de l’adjoint au maire d’Orange, M. Cussey. Outre son signalement physique, il est décrit comme "aimant la lecture […] mais d’intelligence médiocre". Des précisions relatives à ses idées "un peu avancées" – qu’il ne manifeste pas en public - et ses activités sont également consignées, notamment son appartenance au groupe républicain radical socialiste et ses relations avec la C.G.T. lorsqu’il était secrétaire de l’Union syndicale des ouvriers du bâtiment. Des velléités activistes qui semblent toutefois s’être désagrégées dans le temps : il a démissionné de son poste de secrétaire il y a quelques années, il ne reçoit plus de courrier ni de presse propagandiste et ne participe plus aux réunions publiques. Son employeur dit de lui d’ailleurs qu’il est "un bon ouvrier et un honnête homme".


Le préfet de Vaucluse, dans son courrier du 30 septembre 1911 à la Sûreté générale, mentionne des perquisitions au domicile dudit Courant en 1910  au moment de la grève des chemins de fer qui n’ont absolument rien données. Il rapporte également qu’à "Orange, on ne considère pas Courant comme dangereux" mais "plutôt comme un faible d’esprit".


En somme, un faisceau d’indices rassurants pour les autorités qui profitent à Félix Courant en le dispensant d’une inscription sur le carnet B "pour le moment du moins" car la surveillance n'est pas relâchée pour autant.