Clin d'œil

Une aimable croisade

Un sourire pour démarrer l’année, c’est bien agréable mais que cache-t’il ?

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Dans une pile de dossiers des années 1940 à 1968 aux thématiques variées, une bien curieuse chemise intitulée "La croisade de l’amabilité" accroche le regard. À l’intérieur de ce versement du cabinet du préfet coté 99 W, une affiche rouge sang et une mince correspondance. La plus ancienne est une circulaire datée du 26 novembre 1950 à l’attention des préfets de métropole et d'outre-mer.  Son objet ? L’amélioration des rapports sociaux grâce à une série d’actions initiées par le Commissariat Général de la Croisade de l’amabilité et soutenues par le ministère de l’Intérieur. Bigre !


Le promoteur de cette croisade est un Monsieur Marcel Ranville. Il est l’un des artisans du Comité Actif National de la Courtoisie Française (le fameux CANCF) dont Alain Poher fut le président d’honneur jusqu’à sa mort. L’association est née en réaction au déclin constaté des traditions françaises de politesse et de courtoisie. Sa mission : promouvoir le respect et l’amabilité et contribuer au développement de l’altruisme.

Contacté par M. Ranville en 1951, Jacques Veissid en charge des fouilles archéologiques sur la commune de Bollène, accepte d’organiser la manifestation dans le département de Vaucluse. Pour le patronage, il requiert l’adhésion du préfet Jacques Boissier. Afin de le convaincre du bien-fondé de l’entreprise, il l’assure de la neutralité politique du mouvement tout en citant des personnalités importantes associées : des ministres en fonction, le préfet de la Seine Paul Haag et l’écrivain Georges Duhamel. Pour la mise en œuvre, il entend solliciter la presse et s’appuyer sur un réseau d’organismes vauclusiens constitué entre autres de la chambre de commerce et du syndicat d’initiative. Le préfet accepte le principe de la présidence d’honneur sans s’engager toutefois sur une quelconque participation de sa part. Pour le seconder, il désigne un interlocuteur parmi les membres de son cabinet : M. d’Andon.

En 1952, Ranville, sur un papier à l’en-tête de la Croisade pour l’amabilité avec la mention "Sous le haut patronage de Monsieur le Président de la République", adresse une réponse au préfet de Vaucluse. Sa lecture laisse entendre que le préfet Boissier s’est fait le porte-parole d’une initiative du directeur des P.T.T. d’Avignon intéressé par le projet ; en filigrane, on devine aussi que l’attrait pour les croisades va grandissant dans le pays. La greffe a pris.

La note qui accompagne le courrier est révélatrice à bien des égards. Cette année-là, l’Éducation nationale encourage la mise en place d’un concours sur le thème de la courtoisie "cette vertu modeste mais précieuse dont la tradition historique doit être maintenue dans notre pays". Les meilleurs devoirs sont récompensés, sous réserve de pouvoir citer en exemple la conduite et l’amabilité de leurs auteurs. Ailleurs, ce sont les administrations recevant du public qui sont invitées à adopter les règles élémentaires de l’amabilité. Dans le privé, des élections de personnes aimables peuvent être organisées par corporation. Des timbres, affiches et tracts sont édités pour l’occasion ; presse et radio diffusent la propagande sur leur media respectif. Point d’orgue du mouvement : un ordre de la chevalerie vient de voir le jour. Des formules enflammées ponctuent la note : "c’est une force immense dont la contagion est grande", "Il faut que l’amabilité traditionnelle fasse à nouveau partie de notre patrimoine culturel et touristique comme la bonne cuisine et les châteaux de la Loire".

Une belle affiche de 1952 illustrée par Jean Colin vient agrémenter la correspondance. Sur l’aplat rouge, une bande de papier collée d’un seul côté dissimule un détail "Offert par Cinzano". La loi Evin n’existait pourtant pas encore !

 

En 1953, un courrier du commissariat général de l’Ordre des chevaliers de la courtoisie française requiert à nouveau la participation des instances vauclusiennes et fait état de la création de comités régionaux. Un questionnaire-référendum l’accompagne. Notre dossier se clôt sur une circulaire du 22 avril 1954 du ministère de la Santé publique et de la Population. Adressée au préfet pour information, elle communique les dates de la prochaine croisade et recommande aux fonctionnaires relevant de son ministère la pratique de l’amabilité "facteur d’harmonie des relations humaines".

 

 

  Soyons aimables sur le site de l’INA