Clin d'œil

Vaine pâture

Le 13 octobre 1822, la municipalité d’Ansouis revoit sa position : elle souhaite désormais autoriser le pâturage des bêtes à laine dans les bois communaux et percevoir en contrepartie une taxe de 40 centimes par tête.

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Afin d’arbitrer la délibération prise par le conseil municipal d'Ansouis, le préfet de Vaucluse mandate le garde forestier général pour contrôler la forêt et la déclarer défensable*. Or, le rapport pointe le mauvais état des bois, faute d’entretien : « […] depuis la prohibition, les bois d’Ansouis ne se sont point améliorés pour la raison que ces bois avoient trop souffert du paturage immodéré des moutons et même des chèvres, qu’il était devenu indispensable de les récéper, opération à laquelle la commune parait s’être refusée […] ».

Sur la base de ce constat, le préfet dans un courrier enregistré le 20 mai 1823 auprès du 3e bureau en charge des questions agricoles, notifie le comte d’Ansouis. Pour endiguer les dégradations des bois et accorder néanmoins un droit de parcours aux propriétaires de moutons pour l’année 1823, il sollicite à mot couvert l’autorisation de M. de Sabran pour la coupe des arbres : « […] le parcours demandé pour 1823 pourroit être accordé mais pour la condition qu’une partie de ces bois seroit récépé* en 1824. » Il signe sa lettre d’un très déférent : « votre très humble et obéissant serviteur ».

Le document choisi pour illustrer la vaine pâture forestière sous la Restauration fait intervenir trois acteurs dans la gestion du pâturage des bois : la municipalité, le préfet et le garde forestier. La décision s’appuie sur l'arrêté préfectoral n°5 pris le 16 mars 1818.

Au Moyen Âge, la vaine pâture (« compascuité » en Provence et Languedoc) est un droit d’usage fondamental. Il autorise la dépaissance* du bétail en dehors de ses terres, la plupart du temps sans contrepartie, sur des parcelles en friche ou après récolte (c’est-à-dire sur des terres vagues et vaines) mais aussi sur les bords des chemins (droit de parcours). Cette pratique bénéficie notamment aux paysans pauvres et sans terre : ils peuvent ainsi nourrir un cheptel souvent modeste.

Ce droit de pâturage est multiple, il diffère selon les territoires et les époques. Sous la féodalité, la vaine pâture peut faire l’objet d’une redevance que le paysan doit verser au seigneur. Sous l’Ancien Régime, cet usage devient servitude pour le propriétaire terrien. Cette complexité est particulièrement remarquable pour le département de Vaucluse. Constitué de terres pontificales, provençales et dauphinoises par le décret de la Convention nationale du 25 juin 1793, les communautés rurales qui le composaient avant 1789 avaient des usages très disparates.

La Révolution vient encadrer les pratiques avec le code rural adopté en 1791. Dès lors, la règlementation n’a de cesse d’évoluer. Encore et toujours géré à l’échelon communal, le droit de pâturage entre notamment en conflit avec le droit de la propriété privée et la question du respect des espaces cultivés clos. Plus tard, ce sont les effets de la révolution fourragère, de la mécanisation et de l’élevage intensif qui changent la donne. Pour autant, cet héritage des temps immémoriaux n’a pas disparu, il s’est adapté. Les nombreuses dispositions actuelles du code rural et du code forestier en sont la preuve. Et pour rester dans l'air du temps, on peut aussi évoquer l’engouement autour de l’éco-pâturage respectueux de l’environnement, qui favorise le débroussaillage et la fertilisation naturelle.

Un peu de vocabulaire

Défensable : parcelle de forêt dont les arbres sont assez grands pour que le bétail puisse y pâturer sans compromettre leur croissance
Dépaissance : action de faire paître les animaux
Récéper : couper, tailler un arbuste très bas