La crise des inventaires

Les inventaires des biens des églises sont dressés en 1906, pour chaque établissement public de culte existant avant 1905, à savoir les fabriques, chargées d’administrer les paroisses ainsi que les menses curiales et succursales dont la fonction est d'assurer les dépenses personnelles et pastorales du curé.

Entre opposition et ajustement

En ce début d’année 1906, les fonctionnaires de l’enregistrement vont rencontrer bon nombre de résistances lors de leurs opérations de recensement des biens des églises. Si peu d’actes de violence sont à déplorer, les inventaires se déroulent souvent dans les cris, les invectives et les injures de la part des fidèles venus en masse défendre leur paroisse. Les curés rédigent des protestations qu'ils clament parfois sur le parvis des églises aux agents missionnés par l’État. Ces courriers sont ensuite consignés à l'exemple de celui de la main de l'archiprêtre de la paroisse d'Apt annexé à l'inventaire de l'église le 7 février 1906.


Pour les autorités, il est urgent de boucler ces formalités avant les élections législatives de mai 1906. En Vaucluse, c’est le préfet Jules Belleudy, soutenu par l’opinion républicaine, qui supervise les interventions. Pour huiler les rouages, des tentatives de conciliation s’organisent entre receveurs de l’enregistrement, maires et curés. Les agents des domaines vont même jusqu’à ne plus produire de notification lors de leur deuxième tentative afin de ménager l’effet de surprise. Ces efforts sont rarement couronnés de succès.


Le 6 mars 1906 à Boeschèpe dans le Nord, un fidèle est mortellement atteint par une balle. L'événement a des répercussions considérables dont la chute du gouvernement Rouvier. Les affrontements en cascade obligent parfois à requérir l’armée.  Dans un télégramme du 15 août 1906, le ministre de l’Intérieur, Georges Clémenceau, ajourne sine die les opérations d’inventaires. Dans une circulaire « très confidentielle » du 12 novembre, le tigre s’adresse aux préfets et demande la plus grande fermeté et l’usage de la force si besoin pour en finir avec les opérations.

« Prouvençau è catouli »

Des incidents vont émailler le territoire vauclusien dont ces quelques morceaux choisis.


Dans l’arrondissement de Carpentras, la contestation est marquée. Cinq communes ne purent être inventoriées dont Mazan et Monteux, qualifiées de « fanatiques » par le sous-préfet d’Apt. À Vacqueyras, le curé est intraitable et à Blauvac et Malemort-du-Comtat, les ouailles chantent des cantiques.


L’opposition des paroisses avignonnaises est farouche. Les autorités subissent un échec cuisant à la métropole Notre-Dame-des-Doms et à l’église Saint-Pierre. Pour l’église Saint-Agricol, le préfet réagit en faisant appel à un détachement du 58e R.I. afin d’empêcher les fidèles d’accéder au bâtiment. Les portes de l’église désespérément closes obligent la délégation à les enfoncer. L’église Saint-Didier subira le même sort.

Si les inventaires dans l’arrondissement d’Apt se déroulent dans un calme relatif, il n’en va pas de même dans celui d’Orange. Le maire de Beaumes-de-Venise, dans un télégramme adressé au sous-préfet, décrit la situation : « porte barricadée, esprits très surexcités, tentative de conciliation impossible, opération ne sera possible qu’avec force armée d’au moins 100 hommes ». À Bollène, le percepteur est expulsé de l’église par les fidèles.

 

À Camaret, le curé fait de la résistance. Une première tentative du receveur flanqué d’un garde-champêtre, d’un gendarme et d’un brigadier a lieu le 20 février 1906. Le curé, son vicaire et une foule d’environ 150 personnes accueillent sans animosité les représentants de l’État au son puissant des cloches de l’église mais les portes demeurent fermées. Le préfet réquisitionne l’armée, 27 hommes sont missionnés pour prêter main-forte au sous-préfet et à l’agent des domaines. Dans le rapport de gendarmerie du 22 février, le capitaine Papillon-Bonnet confirme que l’inventaire a pu être dressé mais qu’il a fallu pour cela briser une porte.

Et la presse dans la bataille idéologique ?

La querelle se poursuit entre organes républicains et cléricaux.

La Croix d’Avignon et du Comtat dans son numéro du 11 février 1906 fait le récit d’un certain nombre d’opérations dans les quatre arrondissements vauclusiens dont l’inventaire de l’église d’Apt : « L‘inspecteur, d’ailleurs très modéré dans ses manières, mais qui va accomplir (certainement à contre cœur) un acte odieux, est suivi par la foule qui chante des cantiques et emplit bientôt la sacristie. Les chants ne cessent pas. L’inspecteur visiblement ému écrit, - ses encriers disparaissent. - Enfin, après 20 minutes, il est obligé de sortir poursuivi par les huées. »

Si l’hebdomadaire conservateur noircit ses pages d’articles à charge et de diatribes invitant à agir pour la défense des catholiques, son adversaire républicain Le Petit vauclusien est plus nuancé, du moins dans un premier temps. Pour preuve, le tirage du 13 février 1906 dans lequel il est à peine question en deuxième page des inventaires en Vaucluse. Par la suite, face aux incidents en cascade, Le Petit Vauclusien s'emploie à durcir le ton et critique avec virulence cléricaux et Vatican.

 

 

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