Clin d'œil

Une course à leurs risques et périls

En 1941, l’Avenir Cycliste Orangeois a l’espoir d’organiser une course d’étapes autour du mont Ventoux. Dans cette époque pour le moins troublée, est-ce que la manifestation pourra avoir lieu ?

Publié le

Notre clin d’œil au Tour de France et aux J.O. 2024 de Paris s’inspire d’un courrier du 19 juillet 1941, adressé au préfet de Vaucluse Louis Léon Alexandre. Le président de l’Avenir Cycliste Orangeois Henri Marseille, sollicite en effet l’autorisation d’organiser une course cycliste baptisée Circuit du Ventoux ; et comme son nom le laisse supposer, l’ascension du mont Ventoux est au programme. Pour anticiper les éventuelles inquiétudes et interrogations du préfet, l’association sportive s’engage à prévenir les maires des communes traversées et à prendre en charge la protection des biens et des personnes. Le club a d’ailleurs souscrit une assurance dont Henri Marseille assure qu’elle est "agréée par le Ministère du Travail et notoirement solvable par un contrat spécifiant qu’en aucun cas cette compagnie ne pourra mettre en cause la responsabilité Administrative".

Pour rendre sa décision, le préfet s’appuie sur un rapport signé le 9 août 1941 par l’Ingénieur en chef des Ponts et chaussées. Les nouvelles sont bonnes pour le club : ce dernier autorise la course, sous réserve toutefois du respect des mesures promises par ses organisateurs. Il informe en outre le président de l’association de la fermeture de la route reliant Malaucène au sommet du Ventoux en raison de son revêtement très dégradé. Si les coureurs venaient à emprunter cette route, ce serait donc à leurs risques et périls.

Pour justifier le défaut d'entretien de la chaussée, le rapport de l’ingénieur invoque la pénurie d’essence. Les répercussions de la 2e Guerre mondiale sur les réserves françaises de carburant paralysent l’activité du pays. Au nord, la France est occupée par les troupes allemandes tandis que sous la ligne de démarcation, le Vaucluse, en zone dite «  libre  », est administré par le régime de Vichy. Ce contexte ralentit les approvisionnements, et le faible niveau des stocks oblige les  Français à se rationner. Un article dans les Tablettes du Soir du 18 aout 1941 traite des restrictions d’essence dans le Vaucluse, et de l’interdiction de circuler pour les automobiles et les motocyclettes.

Dans ces conditions, il apparaît compliqué, voire hasardeux d’organiser une course cycliste, d’autant que le règlement prévoit que les coureurs doivent être encadrés par des voitures et des motocyclettes suiveuses. Mais le Vaucluse est un département attaché au sport et particulièrement au cyclisme. Il compte de nombreuses épreuves pour les amateurs et les professionnels. Pour preuve, le Tour du Vaucluse s’est tenu de manière ininterrompue entre 1923 et 1939, et il a même pu être de nouveau organisé en 1941. Avignon a d’ailleurs été ville étape d’une prestigieuse compétition : le Paris-Nice de 1933 à 1936. Le Vaucluse est définitivement terre de cyclisme et l’ascension mythique du mont Ventoux incarne le Graal de tout grimpeur.

Le "géant de Provence", muse des poètes, voit sa renommée croître au XVIIIe siècle. Au XIXe, il devient un fabuleux sujet d’observation pour de nombreux scientifiques qui l’arpentent et l’étudient. L’intérêt pour le "mont Chauve" ne cesse de croître. L’ouverture le 16 mai 1882, d’une route d’accès depuis Bedoin jusqu’à son sommet pour la construction d’un observatoire météo, suscite l’engouement de quelques chanceux possesseurs d’automobiles. La première course de côte automobile est organisée en 1902, elle rencontre un franc succès.

À la même époque, des noms célèbres figurent parmi les premiers cyclotouristes à atteindre son sommet, Paul de Vivie dit Vélocio, le Marseillais Adolphe Benoît et même une cycliste, Marthe Hesse. Ces manifestations, qui emportent l’adhésion du public, lancent les premières courses cyclistes. Le Marathon du Ventoux, remporté en 1908 par Jacques Gabriel, est la première ascension chronométrée. L’émergence de nombreux clubs sportifs participe au développement progressif des compétitions cyclistes. Fondé en 1925, l’Avenir Cycliste Orangeois organise dix ans plus tard son premier Circuit du Ventoux.

L’édition 1941 du Circuit du mont Ventoux aura bien lieu. Les coureurs emprunteront même la fameuse route de Malaucène au sommet du Ventoux, et ce malgré les avertissements du préfet. Le numéro 611 des Tablettes du Soir  livre un résumé rapide de la course et donne le nom de son vainqueur, Fermo Camellini, mais il ne précise pas si durant l’ascension, des victimes de chutes où d’incidents mécaniques furent à déplorer…

 Sources :

  • Chauvin, René (dir.), «  Vélo et Ventoux : Un vieux couple  » dans Les Carnets du Ventoux, Juillet 2006, pp. 29 – 69. Cote : 3 per 123
  • Ughetto, André, «  Les « premiers  » au sommet du Ventoux » dans Les carnets du Ventoux, Juillet 1994, pp. 11 – 20. Cote : 3 per 123
  • Ughetto, André, «  Mont Ventoux : Le temps des compétitions cyclistes  » dans Les carnets du Ventoux, décembre 1994, pp. 64 – 74. Cote : 3 per 123

Pour aller plus loin :

 

Article conçu et rédigé le 12/06/2024 par Louis Blacher, étudiant en 2e année de licence d’histoire et de cursus master en ingénierie histoire et multimédia à l’Université d’Avignon.