Evénement

Nuits de la lecture 2023 : "Le massacre de la Glacière"

Effroi, épouvante, horreur, terreur, la 7e édition des Nuits de la lecture se décline sur le thème de la peur. Avant de relater l’épisode avignonnais sanglant qui va suivre - dont le nom évocateur fait encore frémir-, il convient de rappeler dans quel contexte historique la tragédie eut lieu pour en comprendre l’issue fatale.

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Une histoire à lire et à écouter


Depuis la prise de la Bastille de 1789, la Révolution française n’en finit pas d’agiter le pays et les passions se déchaînent. Les états du pape d’Avignon et du Comtat Venaissin, terres étrangères au Royaume de France, ne sont pas épargnés par ces luttes qui prônent un changement de régime radical. Les papistes et les patriotes vont se livrer une guerre sans merci.

La question de la réunion d’Avignon à la France surgit dans les débats de l’Assemblée constituante de la fin de l’année 1789. Le député de Provence Charles François Bouche, élu du Tiers-État, souhaite ardemment sa restitution, mais Avignon et le Comtat Venaissin proclament leur fidélité au pape. 1790 voit de grands bouleversements, les révolutionnaires d’Avignon provoquent des élections, le pape Pie VI réplique en condamnant les changements en cours.

Les patriotes n’en ont que faire et continuent leur œuvre en supprimant les tribunaux du pape et de l’archevêque. Plus encore, le représentant du pape, le cardinal Philippe Casoni est expulsé d’Avignon. La féodalité est ainsi abolie. Les émeutes et les pendaisons s’enchaînent alors sur la place du palais des Papes. La ville vote sa réunion à la France tandis que le Comtat Venaissin, Carpentras en tête, fait toujours allégeance au pape. Pendant ce temps, l’argenterie des églises avignonnaises est confisquée.

Les événements s’accélèrent encore en 1791. Les soulèvements s’intensifient avec l’utilisation de la force. Les révolutionnaires d’Avignon sont déterminés, ils prennent les communes de Cavaillon, Entraigues, l’Isle-sur-la-Sorgue et Caumont… puis ils font le siège de Carpentras l’insoumise. L’assemblée de Vaucluse est créée avec, à sa tête, Jean Duprat, négociant en soie aux idées libérales. Il a tout juste 30 ans. Tout s’enchaine très vite : les évêchés sont supprimés et les relations sont rompues avec le pape. C’est à Bédoin, dans l’église Saint-Laurent qu’est voté et proclamé le rattachement d’Avignon et du Comtat à la France. L’Assemblée nationale entérine ce vote par décret, le 14 septembre 1791.


La nouvelle provoque des manifestations de joie dans la cité qui vibre au son des cloches et aux rythmes des festivités durant trois jours. Les conservateurs, les papistes ne sont pas à la fête. Autrefois maîtres de la ville, ils se sont réfugiés hors des remparts. Ils crient haut et fort leur opposition dans des articles rageurs dans le journal Le Courrier de Villeneuve.

 

Intra-muros, les troupes de l’armée de Monteux, recrutées pour écraser les papistes carpentrassiens, font la loi. Il faut dire que leur chef n’est autre que le terrifiant Mathieu Jouve Jourdan, dit "Coupe-têtes". Chargées de débusquer les Avignonnais opposés à la réunion à la France, elles terrorisent la population en arborant des nerfs de bœuf et des rubans tricolores.

Les prêtres, les moines et les nonnes, soupçonnés d’être réfractaires à la Révolution sont également chassés. L’humeur des soldats est d’autant plus volcanique que le versement de leur solde a pris du retard. Mais les caisses de la ville sont vides et l’économie tourne au ralenti, aggravée par les tensions et la sècheresse du dernier été. L’assemblée électorale de Vaucluse prend alors la décision de piocher dans les biens confisqués à l’Église. On va même jusqu’à déboulonner les cloches des églises pour vendre le métal au poids.

Pour un grand nombre d’habitants d’Avignon s’en est trop. Toutes ces exactions provoquent un vif émoi.

Le 16 octobre 1791, des affiches placardées dans les rues, invitent la population à se rebeller contre le dépouillement des églises. Une foule en colère se rassemble alors dans la chapelle des Cordeliers et réclame des comptes à l’un des dirigeants de la commune, le secrétaire-greffier Nicolas Jean-Baptiste Lescuyer. Il se rend sur les lieux mais ne parvient pas à convaincre la foule bouillonnante. Descendu de force de l’estrade, il est malmené, bousculé, battu puis transpercé de multiples coups de ciseaux infligés par des femmes déchaînées. Le chef de la sécurité de la ville Jourdan vient sur place avec des troupes. La foule est dispersée et Lescuyer est retrouvé gisant dans son sang. Il est encore vivant. On le transporte alors à l’Hôtel-Dieu mais il agonise.
 
Les dirigeants réagissent et décrète la loi martiale. Jourdan, le commandant du Fort, autrement dit le palais des Papes, est chargé de rétablir l’ordre. Épaulé par 150 soldats, il fait procéder à l’arrestation d’hommes et de femmes accusés d’avoir participé à l’attaque au couvent des Cordeliers.

 

La mort de Lescuyer le soir même provoque fureur et désespoir chez son fils et ses proches, et bon nombre de révolutionnaires réclament vengeance. Ils se transportent jusqu’à la prison au cœur du Palais dans la nuit du 16 au 17 octobre 1791. Là, Jourdan laisse faire et c’est une furie meurtrière qui s’empare de la troupe. La soixantaine de détenus est extraite du cachot : un à un ils sont traînés de force dans la cour. Là, les victimes sont battues et assommées à coup de crosse et de barre de fer pour finir lacérées et égorgées par les sabres des enragés. Le massacre est total.

Les cadavres, mais aussi quelques malheureux mourants sont ensuite tirés jusqu’à la tour de la Glacière. Méthodiquement, le fils de Lescuyer et ses sbires pratiquent une ouverture dans un mur des Latrines. Les dépouilles sont alors jetées d’une hauteur de plusieurs mètres. De la chaux vive est lancée sur les corps le lendemain.

Parmi les 61 suppliciés on compte : des membres de l’ancienne municipalité ; une douzaine de femmes ; l’ancien curé de l’église Saint-Symphorien d’Avignon à qui les bourreaux cupides ont extorqué de l’argent avant de l’assassiner et un portefaix prénommé Rey. On dit de ce dernier qu’il connaissait bien ses tortionnaires, jusqu’à leur prénom qu’il criait pour qu’ils l’épargnent.

 

Quelles furent les suites de l’affaire ? Aucun des protagonistes de l’époque ne veut bien sûr endosser la responsabilité de la tuerie. Les patriotes mettent l’accent sur la mort de Lescuyer. Érigé en martyr de la Révolution, son meurtre justifie la vengeance aveugle qui en a découlé. En atteste un écrit du 20 octobre 1791 rédigé par les administrateurs provisoires et diffusée par le club patriotique des Amis de la Constitution d’Avignon. Au contraire, dans le camp adverse, on dénonce. Les articles publiés dans Le Courrier de Villeneuve font grand bruit auprès des journalistes parisiens qui s’en font aussitôt l’écho. La sinistre renommée est faite du Massacre de la Glacière et de Jourdan "Coupe-têtes".

Quant à la création du département de Vaucluse, il faut attendre la convention du 25 juin 1793. Mais c’est en 1800 que ses contours géographiques sont définitivement arrêtés. Des terres du Dauphiné et de Provence lui sont rattachées pour former le département que nous connaissons aujourd’hui.

Source bibliographique

Moulinas (R.), Histoire de la Révolution d’Avignon, Ed. Aubanel, 1986, 390 p.